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En attendant la paix
Published on July 27, 2006 By marouki In International
Les Libanais et les Palestiniens de Gaza sont certes victimes des bombes israéliennes. Mais ils subissent aussi les conséquences d’un cynisme international sans limites. Comme si les mots et les communiqués n’avaient d’autres fonctions que de duper le plus longtemps possible l’opinion. Et comme si les chefs d’État et les diplomates n’étaient sensibles à la souffrance des peuples que lorsque leurs propres opinions les rappellent à l’ordre. Ce ne sont pas les images de corps déchiquetés ou brûlés que nous montre chaque soir la télévision qui émeuvent les puissants de ce monde, mais l’émotion qu’elles finissent par susciter dans nos régions. L’exercice consiste par conséquent à aller à l’extrême limite du supportable, non pour les victimes, mais pour le citoyen téléspectateur occidental. Ainsi, la formule américaine « le cessez-le-feu n’est pas propice », répétée comme une litanie par George W. Bush et Condoleezza Rice, et reprise en écho ­ évidemment ­ par Tony Blair, a fini par devenir totalement insupportable. Après onze jours de conflit, cet encouragement à peine dissimulé à bombarder la population libanaise ne faisait plus l’affaire. Les mots ont donc changé. Sans crier gare, la secrétaire d’État américaine s’est prononcée pour un... « cessez-le-feu urgent ». Mais il faut bien écouter ce que nous dit la principale responsable de la diplomatie américaine : son « cessez-le-feu » n’a surtout pas vocation à s’appliquer immédiatement. Il faut qu’il soit « viable » et qu’il réunisse pour cela un certain nombre de « conditions ». Et ces conditions sont connues : désarmement du Hezbollah et libération des deux soldats israéliens capturés par le mouvement chiite le 12 juillet. Autrement dit, la langue de bois américaine a réussi le prodige de renverser totalement son discours tout en disant toujours la même chose. Israël peut continuer de bombarder le Liban. Et le Hezbollah, dont il serait vain d’attendre qu’il cesse de se battre, de cribler le nord d’Israël de missiles.

On aurait tort cependant de tenir pour tout à fait négligeable ce changement de ton. Il rend compte d’un début de lassitude dans l’opinion. L’heure s’approche peut-être où les principaux alliés de l’État hébreu ne pourront plus, « moralement », couvrir son action. Si la nouvelle terminologie ne change strictement rien dans l’instant, elle préfigure sans doute un infléchissement prochain. La liberté d’action d’Israël n’est plus illimitée.

Il y a à cela plusieurs raisons. En dépit des énormes moyens, notamment aériens, mobilisés, la puissance de feu israélienne n’est pas parvenue à anéantir le Hezbollah. Celui-ci ne donne même aucun signe de faiblesse. En revanche, les dégâts sont considérables dans la population civile. Américains et Israéliens avaient parié sur une guerre extrêmement violente, mais brève. Le changement de vocabulaire de Mme Rice entémoigne : ce pari est d’ores et déjà perdu. La population civile a payé un lourd tribut sans que les buts de guerre soient atteints. Dans leur turpitude, les mots accordent quelques jours de plus à Israël. Mais ils annoncent aussi un prochain changement de cap. Du coup, deux autres idées ont refait leur apparition. Chacun s’accorde à souhaiter laprésence d’une force internationale au sud-Liban, et peut-être même aussi le long de la frontière syro-libanaise. Le Premier ministre israélien, notamment, y a pour la première fois souscrit. Mais, là encore, les mêmes mots ne disent pas toujours la même chose. De qui dépendrait cette force internationale (ou multinationale) ? De l’Otan, c’est-à-dire sous influence américaine, selon Israël. De l’ONU, selon la France. Et quels seraient ses pouvoirs ? Force d’interposition entre les belligérants, ou bien force de combat chargée d’accomplir dans le sud-Liban ce qu’Israël n’aurait pas réussi à mener à bien ?

Mais c’est autour d’une troisième idée que le piège des mots nous semble le plus grossier. Car voilà soudain que tout le monde parle d’un « règlement global ». La France est en pointe dans la promotion de cette solution séduisante.

Mais de quoi s’agit-il ? Dans le nouveau vocabulaire de la diplomatie française, « règlement global » veut dire application de la résolution 1559 de septembre 2004.

Un texte d’inspiration franco-américaine qui enjoignait à la Syrie de quitter le Liban (ce qui a été fait quelques mois plus tard) et le désarmement « des » milices ­ en réalité du seul Hezbollah. Il n’y a évidemment rien de global dans ce règlement-là. Car,comme le rappelle avec force Tanya Reinhart dans le texte que nous publions dans les pages suivantes, c’est à Gaza que tout a commencé. Le conflit israélo-palestinien est cet abcès qui empoisonne la région, et bien au-delà... La guerre libanaise est directement liée à l’offensive sur Gaza. Et aucune paix durable et juste n’est envisageable tant que se perpétuera l’injustice faite aux Palestiniens. Mais nos grands cyniques mobilisent des trésors de dialectique pour cacher cette évidence. La formulation « règlement global », qui traditionnellement ramenait au centre laquestion palestinienne, sert aujourd’hui à l’exclure. Naïfs s’abstenir...

Denis Sieffert in Politis Link

Comments
on Jul 27, 2006
La situation entière est le produit du colonialisme. Les restes de l'empire de tabouret sont venus à la vie et nous hantent maintenant comme des fantômes.