In Favor of Freedom of Speech !!!
Au travers d'une conversation avec une journaliste américaine, nous venons d'apprendre que l'entreprise américaine Yahoo a accordé une bourse d'un million de dollars à l'université de Stanford (Californie) pour un programme de soutien aux journalistes «travaillant dans des pays ne respectant pas la liberté d'expression» . La nouvelle nous a d'abord fait rire. Puis le rire a fait place à un profond malaise.
Yahoo, journalistes, liberté d'expression... Cela ne vous rappelle rien ? Rafraîchissons nos mémoires, et peut-être celles des dirigeants de Stanford. Cette entreprise collabore depuis 2002 avec les autorités chinoises pour purger le Web de tout contenu «subversif». C'est le premier moteur de recherche à avoir accepté de censurer ses contenus pour plaire à Pékin. Sur Yahoo.cn, inutile de chercher une référence aux massacres de la place Tiananmen en 1989, ou aux atteintes aux droits de l'homme dans le pays, les résultats sont filtrés automatiquement par la société californienne. Pire encore. Reporters sans frontières a découvert que Yahoo collaborait régulièrement avec la justice chinoise et était responsable de l'arrestation de plusieurs journalistes indépendants. Cette entreprise, qui se targue aujourd'hui de soutenir le journalisme d'investigation, a en effet accepté d'héberger son service de courriel sur le territoire chinois. Chaque fois que la police lui a demandée d'identifier la provenance de courriers électroniques illégaux qui critiquaient le gouvernement Yahoo s'est exécutée sans discussion. Nous avons la preuve que le géant de l'Internet est impliqué dans l'arrestation et la condamnation d'au moins quatre journalistes et militants démocrates. Le plus connu, Shi Tao, a été condamné à dix ans de prison, en avril 2005, pour «divulgation de secrets d'Etat à l'étranger». Le journaliste était en réalité accusé d'avoir transmis une note circulant au sein de son journal qui interdisait aux reporters de parler de la commémoration des événements de Tiananmen. Les policiers, qui savaient que l'adresse électronique utilisée pour transmettre ce document était gérée par Yahoo.cn, se sont adressés directement à l'entreprise américaine pour les aider à épingler le «criminel». Cette dernière a immédiatement transmis toutes les informations dont elle disposait adresse IP de l'ordinateur, contenu des messages et des pièces jointes, etc. , offrant ainsi le dossier d'accusation du journaliste.
Et c'est cette société, véritable modèle de compromission dans un régime répressif, qui vient aujourd'hui se vanter de soutenir le journalisme indépendant ! Déjà, lorsque Yahoo avait annoncé se lancer dans le grand reportage, débauchant un journaliste réputé, Kevin Sites, pour lui faire suivre les grands conflits de la planète, la nouvelle avait fait sourire. La première règle, lorsqu'on se considère comme un média d'information, est de protéger ses confrères. Aucune rédaction d'un pays démocratique n'accepterait de donner l'un de ses contacts en pâture à la police d'un Etat répressif, encore moins s'il s'agit d'un journaliste. A Yahoo , cela n'a pas posé de problème. Ils se disent nouveau média, n'hésitant pas à reléguer la presse au rang de dinosaure de l'information, mais, lorsqu'on leur parle d'éthique du journalisme, ils se cachent derrière des excuses «business» : «Nous sommes vraiment désolés par ces condamnations. Mais nous sommes une entreprise privée et nous devons nous plier aux lois locales», déclarent en choeur les dirigeants californiens.
Alors, quand nous entendons Jerry Yang, le PDG de Yahoo, affirmer sans rougir qu'il s'engage à «faciliter l'accès à une information libre», eh bien, oui, nous avons un haut-le-coeur. Nous souhaitons surtout lui dire qu'il ne rachètera ni son image ni sa conscience avec ce million de dollars. S'il veut montrer au monde et à ses clients qu'il respecte la liberté d'expression, qu'il le prouve en Chine, pas en distribuant l'aumône, fût-elle conséquente.
Par Robert MENARD, Julien PAIN in Liberation.fr
Robert Ménard : secrétaire général de Reporters sans frontières
Julien Pain : responsable du Bureau Internet et libertés de l'organisation.
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