Des élections si ordinaires
PESANTEURS
Ce n’est pas comme le régime chérifien, qui résiste fort bien aux tentations démocratiques. Après les années de plomb du règne d’Hassan II, les Marocains étaient en droit d’espérer un régime moins autocratique, sous le sceptre du fiston, Mohammed VI : changement de génération, de mentalité, d’environnement. Le jeune roi n’était-il pas présenté comme un libéral, formé dans les meilleures écoles et même un temps stagiaire à Bruxelles au cabinet de Delors, qui en disait beaucoup de bien ?
Bah, faut croire que les pesanteurs historiques l’emportent sur les meilleures volontés. Ou que Mohammed et sa cour ont bien intégré la leçon de Lampedusa : que tout change pour que rien ne change. Le jeune monarque a bien écarté les proches de son père les plus compromis dans la répression, comme Driss Basri, l’homme fort des trente dernières années du règne d’Hassan (qui vivait en exil à Paris et vient de rendre son âme noire à Allah) ; pour le reste, le makhzen reste le makhzen : « L’armature administrative (makhzen) arrive jusqu’au douar. La culture marocaine, c’est l’amour du Prophète et de ses enfants. Quand ils prient pour Lui, ils prient aussi pour Mohammed VI. Il y a aussi la culture makhzen : au moins, disent les gens, nous avons un descendant du Prophète ! Avec cette armature administrative et spirituelle, comment voulez-vous entamer un progrès politique ? "Na’am Ya sidi !" ("Oui, Monsieur"), puis trois génuflexions !» [1]. ) Ajoutez la corruption, les ravages de l’économie libérale mondialisée (où la classe possédante marocaine se vautre avec délice), le bradage des villes historiques aux riches Occidentaux amateurs de riads (BLH, DSK, pourquoi vous toussez ?), le tourisme de masse qui fait du pays un bronze-culs, voire un haut lieu de la prostitution et du tourisme sexuel (certains comparent le Maroc à la Thaïlande), et vous comprendrez pourquoi le (seul) parti islamiste légal, le PJD (Parti de la justice et du développement) est donné largement favori des élections législatives de ce vendredi 7 septembre. Composé de tendances plus ou moins radicales, mais soigneusement démarqué des salafistes et des violences qu’on leur attribue (le PJD a condamné les attentats de Casablanca de 2003 et 2007), ce parti est déjà la principale force d’opposition représentée au Parlement et semble s’être implanté de plus en plus solidement dans les classes moyennes et dans une jeunesse durement touchée par le chômage .
Alors, une évolution à la turque (qui serait un moindre mal), ou à l’algérienne (comme certains le redoutent) ? Probablement ni l’un ni l’autre, le Palais restant encore maître du jeu dans tous les cas de figure. Du moins dans un proche avenir.
SOLIDARITÉ
Mais il existe au Maroc une autre opposition : laïque, démocratique, syndicale, associative, altermondialiste, féministe, non-violente, qui subit de plein fouet la répression.
Lors des défilés pacifiques qui se sont déroulés le 1er mai dernier dans plusieurs villes marocaines (Agadir, Ksar el Kébir, Taza, Séfrou Er-Rachidia, Tiznit...), auraient été proférés des slogans hostiles à la monarchie. Matraquages, tabassages, arrestations. Et condamnations dans la foulée d’une dizaine de militants syndicaux et associatifs. Plusieurs manifestations et sit-in de protestation et de solidarité qui se sont déroulés dans les semaines suivantes ont subi la même répression, et de nouveaux militants, dont des responsables d’Attac-Maroc ou de l’Association marocaine de défense des droits humains, ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Répression aussi du mouvement de grève des mineurs de Jbel Awam, menaces, intimidation et destruction de journaux d’opposition, inculpation de journalistes...
C’est pourquoi Attac-Maroc appelle à la constitution urgente d’un Comité international de soutien, dont nous nous faisons volontiers ici le relais .
Car si nous avons toutes les raisons de nous inquiéter de l’état de la démocratie française et tous les droits de protester contre sa dégradation, nous avons aussi le devoir de ne pas nous détourner de ceux qui se battent pour la liberté à nos frontières ; d’autant plus quand ces combats sont ceux de peuples dont l’histoire est si intimement liée à la nôtre, hier comme aujourd’hui. La solidarité avec les démocrates marocains relève de l’évidence.
Bernard Langlois in Politis Link
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[1] Témoignage de Mohammed Tahiri (ancien agronome, élève de René Dumont, qui fut en charge de l’Office national de l’irrigation sous Mohammed V), cité dans les Trois Rois, l’ouvrage de référence d’Ignace Dalle, Fayard, 2004