Les Français savent maintenant que Nicolas Sarkozy est capable de dire beaucoup de choses pour plaire à un auditoire. C’est ce que nous appelons ici le syndrome Gandrange. En tournée dans cette petite ville mosellane, le président de la République avait, on s’en souvient, tenu devant les ouvriers sidérurgistes menacés de licenciement un discours de syndicaliste accompli. L’inconséquence semble être sa méthode. Transposée dans le domaine de la diplomatie, cela donne, à Tunis, l’éloge ahurissant de la « démocratie tunisienne », alors que des journalistes et des militants des droits humains croupissent dans les geôles de Ben Ali. On ne peut s’empêcher de penser que les propos tenus lundi devant la Knesset, le Parlement israélien, procèdent de la même technique. Pour plaire aux Palestiniens, il a énoncé haut et fort, en les reprenant à son compte, toutes les revendications historiques du mouvement national palestinien, hormis peut-être le droit au retour : l’arrêt des colonies, le retrait d’Israël hors des frontières de 1967, et la reconnaissance d’un État palestinien « avec Jérusalem-Est pour capitale ». Hélas, le Président français n’a pas joint le geste à la parole, c’est à Bethléem, isolé par le « mur », qu’il a rencontré Mahmoud Abbas. Il n’est allé ni à Ramallah, ni dans la partie arabe de Jérusalem, comme l’avait fait son prédécesseur, Jacques Chirac, dans un épisode resté célèbre. Mais ce n’est pas cette contradiction qui est la plus troublante.
Pour plaire aux dirigeants israéliens, il a exalté, dans la première partie de son discours à la Knesset, les « valeurs de justice et de droit » d’Israël. Était-ce obligatoire quand ce pays est celui, au monde, qui a bafoué le plus grand nombre de résolutions internationales ? Était-il raisonnable de louer les « valeurs universelles » d’un État qui colonise un autre peuple et pratique sans vergogne une discrimination quasi officielle à l’encontre de ceux de ses citoyens qui sont arabes ? Fallait-il, pour plaire, mêler Spinoza à la politique israélienne, c’est-à-dire les valeurs les plus lumineuses et les plus tolérantes du judaïsme à un pays qui s’entoure de murs dans un terrible déni de l’altérité ? Certes, on ne rend jamais visite à un pays pour l’invectiver. Toute diplomatie a sa part acceptable de convenances et d’hypocrisie codifiée. Il n’est pas indispensable de renverser à ce point la vérité cul par-dessus tête. On n’est pas obligé de faire un tel grand écart entre revendications palestiniennes et louanges à l’adresse de la puissance coloniale. Une fois encore, la volonté de Nicolas Sarkozy d’entrer dans le costume de George Bush apparaît presque grossièrement. Presque naïvement. Il n’est hélas pas difficile d’imaginer qu’il poussera le mimétisme jusqu’au bout. C’est-à-dire jusqu’à l’inconséquence la plus totale. L’idole américaine de notre Président a aussi beaucoup flatté les dirigeants israéliens au prétexte de pouvoir, le jour venu, les influencer. Mais que se passe-t-il quand les grandes déclarations en faveur d’un État palestinien (dont George Bush n’a pas été avare non plus) ne sont suivies d’aucun effet ? Et, quand, au lieu de cela, la colonisation s’intensifie ?
Pendant que Nicolas Sarkozy était en Israël, un jeune juif a été sauvagement agressé tout près des Buttes-Chaumont, à Paris, par un groupe visiblement organisé. De là où il était, le président de la République a commenté l’événement au seul prisme de l’antisémitisme. L’adolescent a été agressé, a-t-il dit, « pour la seule raison qu’il portait une kippa ». Là encore, la volonté de dire ce que ses interlocuteurs du moment veulent entendre n’est pas forcément de bonne politique. Il a fallu que des policiers parlent, ainsi qu’un responsable communautaire de Gagny – où habite le jeune homme – et des témoins de quartier, pour qu’une autre vérité apparaisse.
La victime fait partie d’un groupe extrémiste qui ne dédaigne pas d’en découdre contre des groupes rivaux qui se définissent eux aussi « ethniquement ». A-t-il été reconnu par ses agresseurs pour avoir pris part quelques heures ou quelques jours plus tôt à une bagarre ? C’est, selon les enquêteurs, une hypothèse plausible. Cela ne rend pas l’agression dont il a été victime plus acceptable. Et cela n’exclut surtout pas l’antisémitisme comme un ressort majeur de cette affaire. Mais reconnaissons que le contexte est un peu différent, et que le racisme n’est peut-être pas exclusif d’un seul groupe. Un policier évoquait une « guerre des territoires ». Le mot sonne étrangement. Tous les observateurs savent qu’il y a une part d’exportation du conflit proche-oriental dans ces affrontements. Quel meilleur aliment pour cette tribalisation ? Comment douter que la paix et le droit là-bas auraient les meilleurs effets ici ? La paix et le droit : par ses déclarations, Nicolas Sarkozy y a-t-il vraiment contribué ?
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